L’homme est cette nuit, ce néant vide qui contient

tout dans la simplicité de cette nuit, une richesse

de représentations, d’images infiniment multiples…

C’est la nuit, l’intérieur de la nature qui existe ici – pur soi –

dans les représentations fantasmagoriques ; c’est la nuit tout autour ;

ici surgit alors subitement une tête ensanglantée, là, une autre silhouette blanche,

et elles disparaissent de même. C’est cette nuit qu’on découvre lorsqu’on regarde

un homme dans les yeux – on plonge son regard dans une nuit qui devient effroyable,

c’est la nuit du monde qui s’avance ici à la rencontre de chacun.

Hegel, La philosophie de l’Esprit, 1805
 

 

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…« Chaque grain de Sable,

Chaque Pierre du Rivage,

Chaque roc & colline,

Chaque source & ruisseau,

Chaque herbe & chaque arbre,

Mont, colline, terre & mer,

Nuée ; Météore & Étoile,

Est un Homme vu de Loin. »

 

William Blake, dans la lettre à Thomas Butts du 2 octobre 1800.

 

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« Toutes s’habillent de couleurs, ahi !

et moi je me vêts d’un haillon noir.

Même les étoiles du ciel, ahi !

S’habillent de couleurs. »

 

« La petite maison que j’habitais

comme elle était de sable et de poussière,

ahi ! le vent me l’a emportée. »

 

« Enfants qui sans chemise ni chaussures

allez sanglotant par les rues, adjahahi !

Venez ici pleurer sur mon cœur avec moi

Qu’une mère moi aussi je l’eus

Que j’ai perdue étant enfant. »

 

1912

 

« D’un chiffon de noir, moi

ma chair j’ai voulu vêtir

c’est la propre liberté de chacune

pour toutes celles qui connaissent

la distinction ; d’un chiffon noir

ahi ! j’ai voulu vêtir ma chair. »

 

« C’est que nous sommes si peu

les pauvres gitans, ahi !

Débarrassez-moi, mon Dieu,

De ce monsieur, moi qui suis

Née avec Undébé pour Dieu. »

Chants de la NINA de Los Peines

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Aux beaux jours de la jeunesse, c’est le vin qui prévaut.

Avec un beau visage, c’est le vin qui prévaut.

Ce monde périssable étant tombé tout en ruine,

C’est s’y trouver toujours ivre mort qui prévaut !

 

Quatrains, Omar Khayyâm

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Que voyez-vous mes yeux ? Quelle étrange aventure

Du trône de la mort fait le trône d’amour ?

D’où vient que renversant l’ordre de la Nature

En même temps la nuit marche avecque le jour ?

 

La Dame en noir, anonyme, XVIe siècle.

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Antoine de Chandieu (1534 – 1591)

     

       Et le Monde et la mort entre eux se desguisèrent

Et le Monde et la mort entre eux se desguisèrent

Un jour, pour pouvoir mieux l’homme Mondain surprendre.

L’adjournent pour ce fait, et puis l’interrogèrent,

Qu’il dit auquel des deux pour serf se voulait rendre.

L’homme Mondain cuidant ne s’adonner qu’au Monde,

Par le Monde trompeur s’asservir à la mort.

Mais se voyant déçu il appella du tort

A un qui par sa mort chassa la mort du Monde.

       

       C’est folie et vanité

C’est folie et vanité

D’estre en ce Monde arresté.

Le plaisir de ceste vie

N’est qu’ennuy et fascherie.

O Dieu, seul sage et constant,

Fay moy, pour vivre content,

Recevoir de ta largesse,

Ma fermeté et sagesse.

       

       Le péché et la mort

Le péché et la mort, et le Monde et la chair

Conspirèrent un jour contre l’âme immortelle.

Le traître corps déjà les laissait approcher,

Si la foi n’eût été pour lors en sentinelle,

Qui du péché, du Monde, et de la chair s’effort

Surmonta par sa croix, de quoi l’âme enhardie,

Fît si bien qu’en plein champ elle vint mettre à mort

La mort qui s’attendait à lui ôter la vie.

     

       Morte est la mort

Morte est la mort et non le Monde,

Qui au Monde donne la loy,

N’ayant plus crainte que la foy

Quelque autre querelle lui fonde :

D’autant qu’au ciel la foy demeure,

Hors du Monde, ne pouvant voir

Que dans son siège on vienne asseoir

Toute inconstance et tout perjeure.

       

       Qu’est-ce du cours et de l’arrest du Monde ?

Qu’est-ce du cours et de l’arrest du Monde ?

C’est un chemin raboteux, ennuyeux ;

Un cocher fol, déloyal, dangereux,

Traîant son coche en la boue profonde.

C’est un logis fumeux, sale, puant ;

Un hôte avare, infâme, remuant ;

Un lit pierreux ; un fâcheux et vain songe ;

Un réveiller d’orgueil et de mensonge.

       

       Quand le jour, fils du soleil

Quand le jour, fils du soleil

Nous descouvre à son resveil

La montagne coulourée

D’une lumière dorée :

Ie remets en ma pensée

Le beau jour d’Eternité,

Quand la nuict sera passée,

Et ce monde aura esté.

       

       Monde, pourquoy fuis-tu ?

Monde, pourqoy fuis-tu ?

Et si ce n’est en toy, où la trouveras-tu ?

Où le Monde n’est pas du Monde combattu.

Le Monde se fait-il à soi mêmes offense ?

Oui trop, car en la terre, au feu, en l’air, en l’onde,

Le Monde s’occit, s’ard et se noie, et se pend.

Monde, suis donc au ciel : car fol est qui s’attend

D’ancrer sa nef flottante en l’Euripe du Monde.

       

       Arreste, atten, ô Mondain

Arreste, atten, ô Mondain, où cours-tu ?

Escoute, enten la voix de la Vertu.

Las ! Il passe outre : il cours après le Monde,

Il va courant, fuyant, ainsi que l’onde

D’un gros torrent, que l’orage des cieux,

Fondu en bas, a rendu orgueiieux.

Ma remontrance est un roc qu’il rencontre,

Passant dessus, murmurant à l’encontre.

       

       Quel monstre voy-ie là

Quel monstre voy-ie là, qui tant de testes porte,

Tant d’oreilles, tant d’yeux, de differente sorte :

Dont l’habit par devant est semé de verdure,

Et par derrière n’a qu’une noirceur obscure.

Dont les pieds vont glissant sur une boule ronde,

Roulant avec le temps, qui l’emporte en courant,

Et la mort court après, ses flesches luy tirant ?

Ie le voy, ie l’ay veu. Qu’estoit ce donc ? Le Monde.

       

       I’apperceus un enfant

I’apperceus un enfant qui d’un tuyau de paille

Trempé dans le savon avecques eau mêmé,

Des ampoules soufflait encontre une muraille,

Dont l’oeil de maint passant était émerveillé.

Riches elles semblaient, fermes, de forme ronde.

Mais les voyant crever en leur lustre plus beau,

Voire soudainement, viola, dis-je un tableau

Dela frêle spendeur et vanité du Monde.

       

       Quelle est ceste beauté ?

Quelle est ceste beauté que je voy tant extrême,

Qui avec ses cheveux, et sa voix et ses yeux,

D’un lien et d’un charme et d’un trait amoureux,

Et s’enchaîne et s’enchante, et s’aveugle soi-même ?

C’est le Monde changé en courtisane infâme,

Qui se va déguisant de mille fards le corps.

Mais c’est une beauté seulement du dehors

Qui ne peut effacer les laideurs de son âme.

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